Malgré la bonté à la source de nos interventions, celles-ci ne sont pas adéquates quand elles sont guidées par « le sauveur » en nous. Par peur de ne pas être aimés, trop de parents ne jouent pas leur rôle adéquatement et essaient par tous les moyens de ne pas frustrer leurs enfants. Cette erreur prend parfois des années à se réparer. Alors pourquoi ne pas trouver un juste équilibre maintenant?

Un enfant pleure. Le père arrive. « Maman m’a envoyé dans ma chambre. Je n’ai rien fait! » Touché par les pleurs du jeune et rempli de bonnes intentions, il décide d’intervenir en le laissant sortir! 

Sauveur, qui es-tu?

Nos actes de bienveillance envers nos enfants ne sont pas toujours issus du sauveur. Toutefois, on reconnaît le sauveur quand ces actes sont posés de façon compulsive pour amoindrir ou effacer la souffrance de l’autre en la prenant en charge. Le sauveur est incapable de supporter l’impuissance qu’il ressent face aux malaises des autres.

Ayant compris, plus jeune, qu’il était responsable des souffrances d’autrui, c’est pour faire taire son propre sentiment de culpabilité qu’il sauve sans même écouter ce qu’il ressent. Aussi, le sauveur ne distingue pas un danger et une injustice réels subis par l’enfant d’une simple émotion désagréable, d’un défi difficile à relever, d’une conséquence déplaisante à assumer. Ainsi, devant un enfant qui a mal ou qui est dans le pétrin, un parent-sauveur va chercher à faire disparaître sa douleur, à régler le problème à sa place et trouvera, au besoin, un coupable à juger et à blâmer. Malheureusement, ce comportement fait fréquemment naître un système de triangulation tout à fait malsain impliquant trois personnes (ex. : père/mère/enfant) ou trois groupes de personnes (ex. : grands-parents, famille recomposée de l’ex-conjoint, etc.). Voici un exemple des ravages que peut faire ce système défensif quand il prend place dans une famille.

Le triangle infernal : bourreau-victime-sauveur

Imaginons une triangulation qui met en scène un enfant, le papa et la maman dans laquelle l’enfant est constamment pris en défaut par le père. Face aux règles continuellement enfreintes par son fils, et encore plus important, face aux mensonges de son enfant qui argumente pour éviter de se faire prendre en défaut, ce papa ressent beaucoup de colère et d’insécurité; il réagit avec intensité. Il veut faire assumer à son fils des conséquences percutantes et devient parfois dur envers le jeune. Plus le fils ment et continue à transgresser les règles, plus le père devient agressif dans ses interventions, donc « bourreau ».

Le fils, lui, en veut à son père. Selon lui, ce dernier agit injustement, est trop sévère, ne l’écoute pas, ne le croit jamais et l’accuse à tort. Il se sent coincé, incompris et il considère qu’il n’a rien à se reprocher. Voici notre « victime ». Une victime excelle dans l’art de se plaindre, de blâmer l’autre, de manipuler pour faire pitié.

La maman vit énormément d’impuissance face à ces disputes répétées entre son fils et son mari. Elle se sent coupable de ne pas avoir su prévenir cette situation et croit qu’elle a certainement le pouvoir ou du moins le devoir d’intervenir; quelle surpuissance! Elle blâme donc son mari de sa dureté, n’est pas d’accord avec ses conséquences démesurées, et son manque de sensibilité lui est insupportable. Elle le voit méchant dans la situation et considère qu’il a entièrement tort. D’ailleurs, avec elle, l’enfant est gentil, ne ment pas, n’est jamais devant l’ordinateur au mauvais moment. Aussi, elle est touchée par l’impuissance du fils à se faire comprendre par son père. Pauvre enfant! Comme elle le comprend! Il a besoin de son intervention. Elle renie donc l’autorité du père, en enlevant ou diminuant la conséquence, en montrant au fils combien elle le comprend et en promettant de tempérer le père. Et voilà notre « sauveur ».

Cette histoire pourrait bien, à quelques détails près, ressembler à la vôtre. Quel rôle y tenez-vous? Quel qu’il soit, vous contribuez à envenimer la situation. Même si vous êtes le gentil sauveur!

La face cachée du sauveur

On comprend assez aisément comment le bourreau met de l’huile sur le feu dans cette situation. Aussi, si on a côtoyé une « victime », on saisit facilement combien il peut être difficile de garder son calme et sa sensibilité devant ses lamentations éternelles, ses reproches incessants et son manque de responsabilisation face à ce qu’elle attire dans ses relations. Par contre, on a tendance à ne voir que le côté lumineux du sauveur. Il agit avec gentillesse. Il veut aider, il est sensible à la souffrance des autres et ne laissera pas tomber quelqu’un qui vit des problèmes. Il est disponible, serviable et agit par bonté. Tout cela est vrai. Pourtant, le sauveur a une face cachée.

 

C’est en cessant de « sauver » nos enfants que nous les aimerons mieux!

La face cachée du sauveur

Avec le « bourreau », le sauveur se place en juge de la situation. Il considère qu’il est supérieur à lui et croit qu’il pourrait faire mieux. Il peut être condescendant donc méprisant derrière une apparence de bonté. Il envahit souvent les territoires relationnels qui ne sont pas le sien, s’accordant un rôle qui ne lui revient pas, car il se sent indispensable. Si personne ne sauve l’enfant, qu’adviendra-t-il de lui? Il manque de discernement, car il voit dans la relation conflictuelle un être tout noir et un autre tout blanc, ce qui est très rarement le reflet de la réalité.

Le sauveur devient surprotecteur de la « victime ». Malgré les apparences, surprotéger, prendre en charge et « sauver », c’est suggérer de façon non verbale qu’on considère l’autre démuni face à la situation. C’est lui dire « sans moi, tu n’as pas ce qu’il faut pour y arriver! » C’est manquer de confiance en l’autre. De plus, en réglant les problèmes à sa place, le sauveur prive l’enfant de découvrir ses propres ressources pour régler son problème, mais il empêche également l’enfant de se responsabiliser par rapport à ce qu’il attire dans la relation. Dans notre exemple, le père devrait certes éviter d’être dur et agressif. Toutefois, il ne se fâche pas pour rien. Si l’enfant ne respecte pas les règles, s’il ment, s’il se déresponsabilise, il est normal qu’il s’attire les foudres de l’autorité. Malheureusement, avec son comportement d’interférence, notre sauveur abîme la relation entre ce qu’il perçoit comme l’ange et le démon. Dans notre exemple, il détruit aussi à petit feu sa relation de couple.

Être sauveur ou parent!

Le sauveur travaille fort. Il travaille pour changer le bourreau dans le but inconscient de faire taire sa propre culpabilité; et il travaille pour l’autre en prenant en charge la victime avec l’objectif non conscientisé de s’assurer d’être aimé d’elle. Plus il a peur de perdre cette relation, plus il « sauve » compulsivement.

Le parent-sauveur oublie trop souvent de travailler sur lui-même. S’il veut réellement aider, il doit d’abord accepter de vivre l’impuissance, la culpabilité, le conflit, la peur de perdre momentanément l’harmonie et l’amour de son enfant. Puis il devra descendre de son piédestal, troquer sa supériorité pour l’humilité et réaliser que son rôle de parent implique qu’il s’assume comme autorité même s’il est perçu parfois comme trop sévère. Sinon, il laisse l’autre parent seul avec cette responsabilité, s’assure de paraître tout blanc aux yeux de l’enfant pendant que le parent-bourreau paraît tout noir. Le jeune a ainsi tous les éléments pour manipuler.

Pour un parent, aimer vraiment c’est d’une part réconforter, comprendre, écouter et se faire aimer; c’est d’autre part responsabiliser, déclencher des malaises, frustrer, dire non, faire assumer des conséquences et ne pas être aimé…. pour un temps!